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Si tu n’es pas béhavioriste, tu n’es point scientifique! - de Roberto Marchesini

Ces jours-ci, un vieux discours ressassé à propos des termes utilisés par un certain type de cynophilie est de nouveau d’actualité; de nouveau, se représente l’ironie facile sur « ceux qui se sentent supérieurs parce qu’ils parlent compliqué ».

En plus, certains ne se limitent pas à la simple satyre, mais tombent dans l’insulte, car il n’est pas facile de maintenir un certain équilibre: il faut du style, et non seulement sous le profil dialogique. Le style est un moyen d’être, pas un artifice communicatif. Si notre propre position est dogmatique, on peut essayer d’utiliser des mots plus modérés et conciliants, mais celle-ci transparaitra en abîmant la structure. Après quoi, il est toujours possible de discourir sur les subtilités de langage entre communicateur et affabulateur, ou encore sur l’accusation de subjuguer un public inculte en cherchant à justifier l’oxymore du non-communicateur s’exprimant plus clairement que le communicateur.

Ainsi, l’ironie s’appuie sur l’idée que celui qui parle énonce des chose simples avec des grands mots pour “faire l’intellectuel”; la discussion progressant, on arrive rapidement à soutenir que cet interlocuteur communique de cette façon pour masquer un vide, puis qu’il le fait pour tromper les ingénus, ensuite pour s’attirer un public de façon déloyale sur le dos des chiens et, enfin, pour masquer une totale ignorance sous le profil scientifique.

Le vortex est inévitable et le discrédit présent. Ici, je me sens obligé de préciser: qui ironise sur le langage utilisé, en le disant obscur et prétentieux, délibérément cryptique ou trompeur, ne met aucunement en discussion le fait que peut-être, et je souligne « peut-être » (adverbe typique de la pensée critique), derrière un langage différent il existe un paradigme différent d’interprétation, à savoir que le langage, tout imparfait et perfectible qui soit, tente d’expliquer les phénomènes à partir de modèles totalement différents de ceux en vigueur. Bref, le problème n’est pas le langage, mais le modèle de référence.

En fait, celui qui ironise utilise habituellement des vocables techniques – tels que ‘renforcement’ et ‘conditionnement’ — qui renvoient à ses propres notions interprétatives et que jamais il mettra en discussion. Mais, en fin de compte, à quoi correspond le mot « renforcement » si ce n’est à un sens interprétatif ayant valeur au sein d’un certain cadre conceptuel, ne correspondant pas au mot que ledit sens voudrait expliquer.

En somme: la friandise est réelle, mais l’appeler « un renforcement » est une interprétation et, en tant que telle, pourra être correcte ou partielle, voire erronée. Concevoir le concept de renforcement comme une essence réelle et non pas comme une acception correspond au dogmatisme, autrement dit croire que les théories scientifiques sont parfaitement juxtaposables à la réalité. Cette position a été souvent démentie dans l’histoire de la pensée scientifique, c’est un principe complètement abandonné par l’épistémologie, cela revient à transformer la science en religion. Ainsi, celui qui ironise parle de termes définis comme étant corrects — en tant que renforcement positif ou négatif ou bien punition positive ou négative — et les considère comme faisant partie du réel et pas comme des acceptions valides dans un paradigme de pensée, un cadre théorique bien précis, nommé béhaviorisme, qui n’est pas un dogme, mais une hypothèse interprétative du comportement. En d’autres termes, celui qui ironise à propos de pensées différentes en considérant les siennes comme étant réelles et indiscutables — rigoureusement scientifiques — ne s’aperçoit pas qu’il pratique en réalité la pensée dogmatique, en clair, le contraire de la pensée scientifique. Je veux juste souligner que le béhaviorisme n’est pas une religion et que toutes les hypothèses — y inclut l’univers ptolémaïque ou la théorie du flogiste — se fondent sur des vérifications. La science est problématique et se prévaut de vérifications, mais les hypothèses ne sont jamais parfaites, elles présentent toutes des points faibles; le béhaviorisme a commencé à montrer les siens à partir des années 40 (voir le débat de Tolman).

Encore plus dans les années 60, lorsqu’a été introduit le concept d’heuristique — beaucoup plus productif du « tâtonnement » (apprentissage par essais et erreurs) béhavioriste — et de nombreuses autres notions que le béhavioriste dogmatique ridiculise en étiquetant ces nouvelles idées comme provenant d’un groupe de fous ou de charlatans. Cependant, ces modèles ont été appliqués aux processus d’apprentissage et de comportement animal et ont résolu beaucoup d’incohérences laissées inexpliquées par le béhaviorisme, par exemple les pourquoi du renforcement variable, des comportements molaires, de l’insight, de l’apprentissage latent, du phénomène du masquage (overshadowing), mais ici mon intention n’est pas de vous ennuyer. Ceci dit, on peut continuer à être béhavioriste, à rester au sein de cette didactique-là, à obtenir des résultats grands ou petits, et ce n’est certainement pas moi qui vous dirai que tout cela est obsolète, puisque la didactique comportementaliste a donné des résultats importants à de nombreux égards. Toutefois — et, cela, je le soutiens fermement —, personne ne peut considérer une alternative théorique comme étant un manque d’orthodoxie, parce que dans la science il n’y a pas d’orthodoxie, mais seulement la recherche et le courage d’ouvrir de nouvelles voies d’interprétations possibles. Que cela soit bien clair, celui qui interprète le comportement à la lueur de la théorie béhavioriste travaille avec un modèle complètement différent du modèle cognitif, j’oserais dire son opposé, un peu comme l’univers ptolémaïque face au copernicien. Si dire que parler d’un objectif est un moyen finaud et habile pour parler de renforcement, si dire que parler d’heuristique est une façon astucieuse pour définir le tâtonnement, si dire que parler de conscience est un moyen retors pour définir le conditionnement, alors tout cela signifie n’avoir rien compris. Et cela au dépit de ceux qui pratiquent cette façon de discuter; car je connais très bien le béhaviorisme, contrairement à tous ces gens qui élucubrent sur l’approche cognitive sans rien connaître de ce modèle.

Ces attitudes dogmatiques sont facilement démasquées:

1) on joue au grand inquisiteur avec les non-alignés, en soulignant que leurs thèses ne trouvent pas confirmation dans les textes soi-disant sacrés;

2) on soutient que l’évidence ou la vérification corresponde entièrement au réel et non pas que celle-ci soit un aspect du réel;

3) on prend les constructions interprétatives, à savoir les concepts utilisés pour l’explication, pour ce que l’on cherche à expliquer;

4) on interpelle une théorie scientifique afin d’obtenir un jugement final (« c’est la science qui le dit ») et non une confirmation de plausibilité;

5) on affirme que cette vérification est définitive et non un point d’arrivée situé au long d’un trajet qui pourrait subir des déviations voire des demi-tours;

6) on se barricade derrière les défenses des théories existantes utilisées comme forteresses visant à défendre le statu quo;

7) on se dresse en tant que gardiens de l’orthodoxie;

8) on se moque de ceux qui pensent différemment, pour ensuite les diffamer ou combattre férocement, comme s’il s’agissait d’une guerre de religion.

Mais ces détracteurs oublient que tous les grands savants subirent, au début, le même sort, qu’ils furent tous des destructeurs du statu quo et non jamais des gardiens sacrés de l’orthodoxie. Et c’est ainsi que le débat se déplace des soi-disant « grands mots » vers des matrices conceptuelles. Il y a celui qui prend les concepts pour les mots, celui qui considère les concepts en tant que mots, celui qui pense qu’il n’existe pas d’autre façon de regarder les choses et qui réduit tout à une question de «descriptions différentes», celui qui s’obstine à traduire ou à ironiser : ils risquent tous d’avoir perdu d’avance. Car il s’agit d’arrogance déguisée en simplicité, attitudes débordantes actuellement. L’erreur est de penser qu’il y a toujours une question de «pierre de Rosette» ; en réalité, un nouveau terme prend du sens uniquement lorsqu’il introduit un nouveau concept, une déclinaison que le précédent terme n’avait pas été en mesure d’acquérir. Évidemment, si l’on a la conviction qu’il n’y a aucun concept neuf, alors il est normal de considérer le nouveau terme comme étant un moyen compliqué et tortueux pour répéter une chose notoire. Tout cela ne soustrait rien à un autre aspect, pleinement acceptable: celui qui s’adresse à un public de non-techniciens doit éviter le plus possible d’employer une terminologie technique, puisque sa première obligation professionnelle est de se faire comprendre.

Trad. Di Valentina Mota

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